Des thérapeutes du RIVO parlent des patients et de la pandémie

Travail réalisé dans la cadre d’un projet financé par le BINAM (Bureau d’intégration des nouveaux arrivants à Montréal) de la Ville de Montréal.

En mars 2021, le RIVO a sondé par téléphone cinq psychologues et psychothérapeutes sur deux questions : quels impacts de la pandémie de COVID 19 observez-vous chez vos patients? Quelle aide leur  apportez-vous autour de cette question et quels en sont les effets? Ces thérapeutes ont soutenu leurs patients quasi sans interruption de mars 2020 à mars 2021 par des moyens de communication numériques accessibles aux patients.  Des entrevues en présence ont aussi eu lieu en respectant les mesures sanitaires. La majorité des patients sont demandeurs d’asile, les autres, des réfugiés ayant obtenu la résidence permanente au Canada.

Constats sur les patients tirés de ces entretiens

Trente patients ont eu la maladie, plusieurs avec des symptômes graves. Ils ont guéri, la plupart sans séquelles. Certains ont vu des membres de leur famille contacter la maladie et en guérir. Les patients ont le plus souvent rapporté des symptômes de fatigue intense et prolongée, des douleurs fortes à la poitrine. Ils décrivent des symptômes très souffrants et les mentionnent, sans dramatiser ou insister. Une thérapeute mentionne des patients jeunes dans la trentaine très atteints par la maladie. Lorsque les parents ont la COVID, souvent les enfants l’attrapent de leurs parents.  Deux femmes ont été hospitalisées en raison de la COVID, chacune pendant plus d’un mois.  L’une d’elles a souffert de diverses séquelles physiques et neurologiques..  Pour les parents ayant la maladie, le fait de voir des membres de leur famille immédiate l’attraper à leur tour, entraîne une période de stress et d’anxiété supplémentaire.

Le statut d’emploi des patients confirme des faits rapportés ailleurs.  La grande majorité (atteints ou non de la COVID) travaillent dans les services essentiels (santé, entrepôts, en secteur COVID). Des patients ont suivi la formation de trois mois mise sur pied par le Ministère de la Santé du Québec pour devenir préposé(e)s aux bénéficiaires. Ils ont été employés par la suite dans les quartiers chauds de la COVID, certains en zone rouge.  Ces hommes et ces femmes travaillent à temps partiel, les fins de semaine et la nuit, avec les agences.  Ils occupent un deuxième emploi dans les résidences pour personnes âgées.

Une thérapeute décrit des patients dans la quarantaine et la cinquantaine, préposés aux bénéficiaires. Une autre décrit des patients qui ne travaillent pas dans le système de santé et qui ont la maladie.  Une dernière décrit aussi des patientes œuvrant comme préposées aux bénéficiaires, dans le réseau de la santé.  Deux de ces femmes inquiètes d’attraper la COVID dans le milieu de travail et de  la transmettre à leurs jeunes enfants, demandent leur transfert dans des zones non-COVID.

Une autre caractéristique de la vie des patients rejoint les constats faits par la Santé Publique de Montréal concernant le type de logement ainsi que le quartier de résidence comme

facteurs de risque  d’être atteints de la maladie. Plusieurs préposées aux bénéficiaires résident dans les quartiers Côte-des-Neiges, Salaberry-Ahuntsic, LaSalle, et dans les quartiers à l’est du métro Honoré-Beaugrand. Certains vivent en co-location, et/ou dans des chambres qui partagent des installations sanitaires communes sur l’étage. Ces personnes ont modifié leurs usages de ces installations, fréquentant les installations sur un autre étage, lorsqu’informées de la présence de cas de COVID sur l’étage où elles habitent.  Des personnes en co-location ont exprimé leur inquiétude devant des comportements sanitaires imprudents imputés à un(e) coloc.

Constats sur les inquiétudes et pensées suscitées par la pandémie chez les patients

L’épidémie de COVID a entraîné une charge émotionnelle et psychologique, un poids supplémentaire dans la vie de plusieurs. Selon les thérapeutes, la majorité des patients atteints parlent peu de leurs symptômes.  Ils expriment bien davantage les inquiétudes suscitées chez eux par la pandémie, inquiétudes portant surtout sur les aspects suivants :  peur de contacter la maladie et si c’est le cas,  peur de la transmettre à leurs proches, en premier lieu à leurs enfants (jeunes surtout).  Certains qui voient fréquemment leurs parents, et mangent avec eux, craignent de partager des plats de nourriture avec plusieurs personnes.  Ces personnes évitent alors les évènements familiaux et respectent rigoureusement les interdits de contacts sociaux (confinement, limites de contacts en zone rouge etc).

L’épidémie a réveillé des angoisses reliées à des expériences traumatiques antérieures dans la vie des patients.  Ceux qui dans le passé ont vu leur vie menacée dans une guerre, un génocide, une persécution, ont à nouveau vécu des angoisses de mort.  Ces angoisses prenaient, pour ceux qui ont des enfants, la forme de questionnements : « Si je meurs, qui va aider les enfants? »  « Qui va raconter ce qui m’est arrivé, ce qui est arrivé à ma famille? ».

Les angoisses de mort se révèlent aussi dans les peurs de patients atteints de la COVID et qui craignent que la maladie affectent leurs enfants vivant encore dans le pays d’origine où ils sont en danger pour d’autres motifs (maladie grave préexistante, menaces en raison de liens familiaux etc.).

Une patiente dit être fatiguée de souffrir… de souffrir du trauma avant son arrivée au Canada, et de souffrir au Canada avec la COVID (souffrir de l’anxiété permanente, de l’instabilité du statut de demandeuse d’asile).  Des mères monoparentales qui ont eu la maladie expriment des inquiétudes avant d’en être atteintes, se demandant comment protéger leurs enfants de la COVID, si elles l’attrapent.  Ces femmes manquent de soutien familial et social, ne parlent ni français, ni anglais.

Des patients qui n’ont pas contacté la maladie rapportent des pensées qu’ils y associent.  Certains demandeurs d’asile espèrent obtenir la résidence permanente par le biais du programme fédéral d’accès au statut de résident pour les travailleurs essentiels.  Ces patients travaillent dans ces services. Des patients ont associé la COVID et la religion.  Une personne dit : « Tous ont eu la COVID sauf moi.  Dieu m’a beaucoup aidée. » Si des gens prient pour elle, ça  l’aide.  Chez d’autres, la COVID a pris la place de beaucoup d’angoisse.  Une phrase revient fréquemment :  « Au moins, c’est pas la COVID. »

Selon une thérapeute, pour les patients non atteints de la COVID, l’isolement le plus extrême est l’expérience dominante associée à la pandémie.  Ces personnes expriment beaucoup de peur, de désespoir, de solitude.  Elles attendent que quelqu’un les appelle.  Cependant, certaines personnes ont réussi à garder des liens avec des membres de leur église.

Impacts de la pandémie chez les patients de RIVO, et stratégies d’adaptation utilisées pour y faire face

Une variété d’impacts est signalée.

Une thérapeute parle d’une patiente qui affronte la COVID en se concentrant sur les solutions qu’elle peut mettre en place pour gérer la situation ainsi que les impacts de la maladie sur la vie de sa famille.

Lors de la première vague, un patient inquiet pour ses proches dans son pays d’origine suit la situation avec un sentiment d’impuissance accru en raison de la distance. Il s’inquiète de ce que les autorités disent et ce qu’elles ne disent pas.

Sur un autre registre, des patients qui font un peu de télétravail offrent de garder les enfants de femmes qui travaillent comme préposées aux bénéficiaires, et qui craignent d’envoyer leurs enfants à la garderie.  Des voisines, avec un soutien financier, gardent des enfants de d’autres familles.

Des thérapeutes rapportent les propos de patients qui ont augmenté leur consommation d’alcool, surtout pour composer avec l’isolement social. Des personnes en rupture amoureuse, évitant les contacts sociaux et les relations en raison de la pandémie, ont eu recours à une consommation d’alcool beaucoup plus importante.

Des mères séparées de leurs enfants vivant dans leur pays d’origine, paniquent, vivent beaucoup d’anxiété.  Pour elles, le souci au sujet des enfants est constant. Avec elles, la thérapie ne fonctionne pas aussi bien que d’habitude.   Les réactions de panique et d’anxiété au sujet des enfants laissés derrière sont exacerbées en raison de retards importants dans le déroulement des audiences devant les commissaires en immigration pendant la pandémie.  Ces retards allongent les délais préexistants dans le processus de réunification familiale des demandeurs d’asile, qui sont finalement acceptés comme réfugiés au Canada.  La COVID retarde encore plus l’arrivée de leurs proches.

Une thérapeute parle des femmes demandeuses d’asile et de leurs enfants qui, en raison des mesures sanitaires, sont privées pendant des mois de rencontres religieuses, des contacts en présence qui en font partie, et de la pratique d’activités qui leur font du bien.  La fermeture des écoles, la présence constante des enfants à la maison pendant les longs mois de confinement, entraînent plus de travail pour les mères, plus de tensions aussi.  Les mères perdent l’accès pendant plusieurs mois des lieux communautaires pour elles et pour leurs enfants.  Elles perdent aussi l’usage des bibliothèques, un lieu de soutien important pour plusieurs familles.  À Montréal, les bibliothèques offrent des activités de lecture, d’écoute de contes, de films, et un lieu calme et paisible, souvent difficile à trouver à la maison dans ces circonstances. Les mères perdent aussi le soutien des professionnelles en CLSC pendant les longues périodes de délestage des services.

Une thérapeute décrit des réactions de patients à la pandémie.  Des patients font état de problèmes physiologiques (maux de dos, de poitrine), de pensées catastrophiques, de troubles gastriques, de pensées dérangeantes, de répression de l’expression de la souffrance.  Des patients arrêtent de parler du passé, ne font plus de liens avec leur passé.

D’autres patients rapportent avoir gardé confiance dans la vie et dans les personnes proches.

Des patients qui travaillent dans le système de santé, très inquiets d’attraper la COVID dans la première vague, se sont sentis confortés d’être vus comme « des anges gardiens ».

D’autres patients, travailleurs essentiels avec des personnes vulnérables, se sont fait vacciner dès que possible.  À partir du début de l’année 2021, le thème de la vaccination devient plus important dans les propos des patients, et représente une source de réassurance pour ceux qui le mentionnent.

Comment la thérapie a aidé des patients pendant la pandémie

Nous avons demandé aux thérapeutes de décrire les formes d’aide apportées aux patients pendant la pandémie.

Dans les périodes où les confinements restreignaient fortement les contacts en présence, les thérapeutes ont offert pro bono des périodes d’écoute téléphonique dans des moments où des patients étaient affectés plus fortement par un isolement prolongé et/ou par une inquiétude intense envers leurs  enfants éloignés.

D’autres formes d’aide répondent aux inquiétudes, aux  anxiétés vécues au sujet de la pandémie et aux angoisses déjà présentes amplifiées par l’épidémie.  Elles répondent aussi aux conséquences de la pandémie sur la vie des personnes, aux impacts des mesures sanitaires et des décisions de confinement et d’arrêt forcé des activités non essentielles.  Voici quelques exemples.

Un thérapeute raconte avoir informé les patients sur ce qui est permis et sur ce qui est interdit pendant les différentes périodes de confinement et le couvre-feu.  Il leur donne de l’info au sujet de la COVID.  Les patients entendent toutes sortes de choses sur la COVID et cela créé beaucoup de confusion chez eux.  Le thérapeute adapte l’information selon le contexte de vie du patient et selon les inquiétudes exprimées autour de la maladie.

Il explique avoir aidé un patient inquiet à envoyer ses enfants à l’école, à tester avec lui des hypothèses de solution pour protéger les enfants et pour prendre soin d’eux en cas de COVID.  Le père a envoyé les enfants à l’école quelques jours plus tard.

Le thérapeute donne l’exemple d’une mère qui lui a confié avoir acheté des masques et des visières pour ses enfants.  « Je suis une bonne maman » lui disait-elle, après avoir cherché des moyens de les protéger.

Le thérapeute travaille à soutenir les capacités de la personne à trouver des solutions, à donner un sens à cette situation de la COVID et avec ce que cette situation implique pour chacun.

Une thérapeute décrit le soutien apporté à une patiente atteinte d’une maladie grave, puis, de la COVID, très isolée, dans sa motivation à refaire ses forces.  La thérapeute avec des collègues s’assure que la patiente peut répondre à ses besoins de base et qu’elle retrouve un lieu de vie où elle est en sécurité. Avec ces soutiens et l’aide de membres de l’église, après des mois, elle retrouve la santé et peut reprendre le travail dans son domaine.

La démarche thérapeutique a appuyé cette femme dans ses efforts pour finalement obtenir des nouvelles de ses enfants demeurés dans le pays d’origine. Elle lui a permis aussi de faire face à l’éloignement de ses enfants et l’a aidée à exprimer et à reconnaître ses sentiments envers chacun d’eux. Le travail en thérapie lui a permis de faire face à la longue souffrance que représente l’absence, la séparation d’avec ses enfants, et à se projeter dans un avenir où, recevant la protection du Canada, elle pourra les faire venir ici.

Une autre thérapeute a fait un travail de prévention soutenu avec ses patients.  Elle a partagé avec eux l’expérience des autres, de ceux qui ont eu la maladie dans une forme grave.

Elle a aussi élaboré avec certains patients une forme de protection psychologique en nommant de façon explicite des éléments positifs de leur situation ici. Elle leur a expliqué que la fermeture des frontières canadiennes pendant la COVID a interrompu les procédures de déportation des demandeurs d’asile refusés et que leur emploi dans la santé leur offre une opportunité en période de pandémie, comme travailleurs des services essentiels, (se qualifier pour le programme fédéral spécial d’accès à la résidence permanente) montrant leur insertion dans la société canadienne.

Des thérapeutes se sont aussi exprimés sur certains impacts de la pandémie sur leur travail avec les patients de RIVO.

Ils ont été touchés par ce que leurs patients vivaient, par leurs inquiétudes intenses envers leurs proches, en particulier leurs parents et leurs enfants, et aussi par l’isolement, par la solitude douloureuse de ceux qui, vivant ici, ne connaissent personne. Ils ont été affectés par la souffrance intense rapportée par ceux qui ont eu une COVID dure. Des thérapeutes, eux-mêmes immigrants, séparés de leurs familles vivant sur d’autres continents, partageaient des craintes et des émotions communes avec leurs patients sur le sort de leurs proches. Certains ont craint pour la santé et pour la vie de leur patient atteints de la maladie ou d’autres maladies graves pendant l’épidémie.

Tous ont dû s’ajuster à une autre forme de thérapie, pratiquée avec des moyens de communication numérique, et en présence avec le port du masque. La psychothérapie, un métier qui se pratique en présence physique de l’autre, dans l’intimité d’un lieu et d’un lien de proximité, compte sur la communication des corps qui se parlent autant que sur le langage des mots.  Au travers des craintes, des incertitudes, des essais, des ajustements, des tatonnements et des adaptations, patients et thérapeutes ont su travailler ensemble et s’aider mutuellement à mettre en place des formes de soutien utiles et précieuses.

La thérapie, un travail d’équipe qui permet d’ouvrir des chemins qui font du sens, quand des impasses nous empêchent d’agir ou de penser, la thérapie a eu lieu.  Des patients ont pu reprendre un chemin de vie et des thérapeutes les ont aidés à tracer ce chemin.

Monique Tremblay, pour RIVO.

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